Cas de suspension du contrat de travail
et congés payés : la Cour de Cassation a tranché
Plusieurs arrêts de la Cour de cassation rendus le 13 septembre 2023 dernier mettent en conformité le droit français avec le droit européen concernant la prise en compte de la suspension du contrat pour maladie ou accident du travail sur les droits à congés et précisent les règles de prescription.
En effet, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence concernant l’incidence des arrêts de travail pour maladie ou pour accident du travail sur l’acquisition des droits à congé et précise les règles permettant de fixer le point de départ du délai de prescription applicable à une demande d’indemnité compensatrice de congés.

Au tour de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se pencher sur la question du report des congés payés
Rappel : Depuis le 13 septembre 2023, le sujet des congés payés fait couler beaucoup d’encre. La Cour de cassation a écarté l’application de la législation française pour se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne. Ainsi, elle reconnaît désormais que les salariés en arrêt maladie, quelle que soit leur origine (professionnelle ou non), acquièrent des congés payés.
Un salarié qui n’a pas pu prendre ses congés payés pendant la période prévue à cet effet pour cause de maladie peut :
- reporter ses congés payés ;
- prétendre, si son contrat de travail est rompu, à une indemnité financière.
La CJUE confirme, dans un arrêt du 9 novembre 2023, la possibilité d’un report limité des droits à congés payés acquis en cas de maladie.
Sur la question de la durée de report raisonnable des congés payés :
Quelle doit être la durée de report applicable aux congés payés en cas de période de référence égale à 1 an ?
La CJUE ne répond pas expressément à cette question. Selon elle, cette décision est du ressort de chaque Etat membre. Autrement dit, dès que le législateur français aura fixé la durée du report des congés payés, la CJUE pourra l’examiner afin de vérifier qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte à ce droit au congé payé annuel.
Sur la question de l’application d’un délai de report illimité :
En l’absence de dispositions au sein du Code du travail limitant expressément ce droit au report, est-ce que l’application d’un droit de report illimité, est conforme au droit de l’Union européenne ?
La CJUE indique que les limites du droit de report doivent être prévues par la législation propre à chaque État membre.
Elle admet cependant qu’un report illimité confronterait l’employeur « au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail ». Également, au-delà d’une limite temporelle, le congé annuel serait dépourvu de son effet positif pour le travailleur.
La CJUE précise que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas, en l’absence de dispositions conventionnelles, à ce que le législateur ou le juge national permette au salarié de demander pour deux périodes de référence consécutives, le bénéfice des congés payés acquis mais non pris en raison d’un arrêt maladie longue durée, si cette demande est réalisée dans un délai de 15 mois qui suit la fin de la période de référence.
Reste à savoir si, et comment, le gouvernement s’emparera de cette possibilité alors que les entreprises sont dans l’expectative après les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 et les différentes cours d’appel qui ont déjà décliné cette solution.
Congés payés et maladie non professionnelle
En droit français, selon les règles fixées par l’article L. 3143-3 du code du travail, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle ou victime d’un accident de travail n’acquiert pas de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.
Or, Selon le droit de l’Union européenne (UE), lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, situation indépendante de sa volonté, son absence ne doit pas avoir d’impact sur le calcul de ses droits à congé payé.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) que la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période.
Dans les trois affaires soumises à la Cour de cassation, des salariés ont contracté une maladie non professionnelle qui les a empêchés de travailler. Par la suite, ils ont calculé leur droit à congé payé en incluant la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler. En application du droit de l’Union européenne, la cour d’appel leur a donné raison.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation.
Par un revirement de jurisprudence, donc, la Cour de cassation, s’appuyant sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit au repos, écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.
« Le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat » (décision de la CJUE du 20 janvier 2009).
Pour la Cour de cassation, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31§2 de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale.
Elle écarte en conséquence partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d‘un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour maladie.
Elle juge ainsi que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congé payé en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler.

Congés payés
et accident du travail
Selon le droit français, en cas d’accident du travail ou maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congé payé est limitée à une seule année de suspension du contrat de travail.
Or, selon le droit de l’Union européenne, un salarié victime d’un accident de travail peut bénéficier d’un droit à congé payé couvrant l’intégralité de son arrêt de travail.
En l’espèce, un salarié a été victime d’un accident du travail. Par la suite, il a calculé ses droits à congés payés en incluant toute la période au cours de laquelle il se trouvait en arrêt de travail.
En application du droit français, la cour d’appel a considéré que ce calcul ne pouvait pas prendre en compte plus d’un an d’arrêt de travail. Le salarié a formé un pourvoi en cassation.
Comme dans la décision précédente, la Cour de cassation, s’appuyant sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit au repos, écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.
Ainsi, elle juge qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congé payé ne peut être limitée à un an.
Arrêt du 13 septembre 2023 (n°22-17.638)
Congés payés et congé parental d’éducation
Jusqu’à maintenant, le salarié ne pouvait pas prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés à l’issue de son congé parental au motif que, la décision de bénéficier de ce congé parental s’imposant à l’employeur, c’est l’intéressé lui-même qui a rendu impossible l’exercice de son droit à congé payé.
Or cette règle est contraire au droit social européen sur les congés payés et à l’accord-cadre sur le congé parental figurant en annexe de la directive du 8 mars 2010.
En effet, selon la CJUE, cette disposition a pour but d’éviter la perte ou la réduction des droits dérivés de la relation de travail, acquis ou en cours d’acquisition, auxquels le travailleur peut prétendre lorsqu’il entame un congé parental et de garantir que, à l’issue de ce congé, il se retrouvera, s’agissant de ces droits, dans la même situation que celle dans laquelle il était antérieurement audit congé (décision 16 juillet 2009).
Le contrat de travail d’une salariée a été suspendu successivement, à compter du 1er août 2018, pour cause de maladie, puis de congé pathologique et prénatal, puis d’un congé maternité et enfin d’un congé parental d’éducation à compter du 17 février 2019.
Le contrat de travail a pris fin le 31 octobre 2020 à la suite d’une rupture conventionnelle. Le 25 mars 2021, la salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés.
Elle est déboutée par la cour d’appel au motif que les congés payés acquis avant le début de son congé parental ne pouvaient être reportés à l’issue de ce congé dans la mesure où la salariée n’avait pas été empêchée de les prendre à l’issue de la période de référence, ayant elle-même choisi sa date de départ en congé parental. Elle forme un pourvoi en cassation.
Il y a lieu de juger désormais qu’il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du code du travail, interprétés à la lumière de la Directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental, que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.
La salariée est donc en droit de bénéficier de l’indemnité compensatrice des congés payés non pris du fait de son congé parental, équivalent en l’espèce à 43 jours de congés acquis et non pris.
Prescription du droit à l’indemnité de congés payés
Une autre affaire (22-10.529) portait, quant à elle, sur la question du point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés en cas de litige.
En la matière, il résulte d’une jurisprudence constante que les congés payés ayant une nature salariale, ils sont soumis à la prescription triennale applicable aux salaires.
Par ailleurs, la chambre sociale considérait de longue date que le point de départ de ce délai était fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris.
Mais la Cour de cassation a décidé, là encore, de faire évoluer sa jurisprudence et pose le principe selon lequel il y a lieu de juger, désormais, que le point de départ de la prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.
Pour rappel, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement.
Article rédigé en septembre 2023 par Laurent Guyon, Directeur de Mission Social Endrix.

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