Services à la personne : de l’association à la SCOP ?
Pour les associations de services à la personne, la maîtrise des enjeux stratégiques liés aux ressources humaines, à la concurrence accrue et aux financements est une nécessité pour assurer leur pérennité face à des franchises commerciales ne cessant de se développer. La transformation en société coopérative et participative (SCOP) pourrait-elle constituer une des solutions pour contrer cette évolution ? Le passage vers la fiscalité commerciale constitue-t-elle alors un frein ?
Transformer l’association en SCOP, une piste à étudier pour assurer sa pérennité.
Tester son projet et adapter sa forme juridique est parfois une des pistes à étudier pour assurer la pérennité de celui-ci. Il est ainsi possible pour une association d’adopter une forme sociétaire sans renoncer à son projet, ses valeurs fondatrices ou encore son principe démocratique. Évoluer vers le statut de SCOP peut constituer une nouvelle étape du développement de l’activité.
« Pour conserver les valeurs fondatrices de la structure et offrir aux salariés une vraie place dans la gouvernance, la SCOP peut être une solution. »
Quels contexte et évolution du marché des services à la personne ?
Une fiscalité en évolution dynamisant l’offre.
Depuis le début des années 1990, une succession de mesures fiscales et sociales [1] se sont succédé afin de favoriser le développement des services à la personne et des entreprises, aux dépens des acteurs historique du secteur que sont les associations.
En 1996, une nouvelle loi [2] autorise les entreprises à investir le secteur, en plus des particuliers employeurs et des associations. En 2000, la diminution du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 19,60 % à 5,5 % a entraîné une baisse des tarifs et mécaniquement, le développement accéléré des entreprises par rapport aux associations bénéficiant de l’exonération de TVA [3] sur l’ensemble de leurs services indépendamment de l’existence d’un marché concurrentiel.
En 2002, l’agrément [4] jusque-là réservé aux structures associatives est ouvert aux entreprises. La réduction fiscale est désormais étendue aux utilisateurs de services à domicile réalisés par des entreprises agréées. Finalement, depuis 2014, le taux de TVA est passé à 10 % pour les prestations ne concernant pas les personnes dépendantes et pour certains services, tels que l’activité de mandataire, le taux de TVA est désormais de 20 %.
Cette succession de mesures a ainsi créé un marché concurrentiel au détriment des associations et de leurs spécificités [5] alors qu’elles assument pourtant des prestations destinées à un public peu pris en charge par les entreprises.
L’utilité sociale n’étant pas le cœur de leur projet, celles-ci ne sont en effet pas toujours enclines à répondre aux besoins des territoires les plus isolés et à proposer des prestations adaptées en termes de tarification afin d’être en mesure de préserver leurs marges.
« Les services à la personne se sont développés autour d’un besoin d’utilité sociale : l’assistance aux personnes dépendantes. »
[1] CERC, « Les services à la personne », rapp, n° 8 du 16 janv. 2008 ;
[2] L. n° 96-63 du 29 janv. 1996, JO du 30, art. 1er ;
[3] CGI, art. 261, 7, 1° ter ;
[4] Ce système a changé depuis loi n° 2015-1776 du 28 déc. 2015 ( JO du 29), dite « loi ASV » : l’agrément qualité délivré par la Direccte a été remplacé par l’autorisation délivrée par conseils départementaux ;
[5] V, JA JA 2019, n° 605, p. 36, A. Bernard ;
Des créations de structures concentrées sur le secteur lucratif.
La création de nouvelles structures de services à la personne a surtout été soutenue par les entreprises, dont le nombre s’accroît de 6,3 % entre 2017 et 2018 alors que celui des associations continue de diminuer de 2,9 % sur la même période. Les entreprises représentent 41,4 % des heures réalisées par des prestataires en 2018 [6] contre 49,8 % pour les associations, soit une évolution respective de + 6,7 % et de -2,5 % en une seule année !
« Il s’agit aujourd’hui d’un marché dans lequel la part des entreprises est croissante »
[6] « Les services à la personne en 2018 », DARES résultats n° 011, févr. 2020 ;
Statut fiscal en matière de TVA.
La loi de finances pour 2019 a restreint le bénéfice de l’exonération de TVA dont bénéficiait les associations [7]. Il s’agit d’un précédent puisque, pour la première fois, cette exonération propre aux associations de services à la personne, dont la gestion est désintéressée et qui sont agréées ou autorisées, est désormais limitée aux services d’aide fournis aux personnes en situation de fragilité ou de dépendance [8].
[7] L. n° 2018-1317 du 28 déc. 2018, JO du 30, art. 71 (pour la mise en conformité avec la directive 2006/112/CE du 28 nov. 2006), réd. CGI, art. 261, 7, 1° ter ; JA 2019, n° 607, p. 36, étude L. Aouar ;
[8] CGI, art. 278-0 bis, D et art. 279, i ;
La fiscalité ne semblerait plus être un frein.
Si la grande majorité des porteurs de projets créent une entreprise plutôt qu’une association, ceci est incontestablement le témoignage que le seul critère du statut fiscal de la structure n’est plus une contrainte ou un enjeu [9]. La forme commerciale est devenue plus attractive : si l’aspect patrimonial peut être aussi un objectif, garder la main sur la gestion de son projet est aussi essentiel à leurs yeux.
« Le statut fiscal commercial qui pourrait néanmoins constituer un frein a tendance à s’estomper dans les faits »
Malgré le contexte d’insécurité fiscale dans lesquelles les associations se trouvent [10], le respect de la notion de gestion désintéressée et de non-lucrativité leur permet de bénéficier d’avantages fiscaux par rapport aux sociétés. La vigilance s’impose donc, mais la généralisation de la fiscalité à tous les services à la personne constituerait-elle finalement un réel handicap pour le projet associatif ? [11] Du fait ces évolutions, la transformation d’une association en SCOP est une option à envisager. La prise en compte de ces deux aspects, fiscalité et gouvernance, est alors au cœur du projet.
[9] V, JA 2018, n° 589, p. 35, étude C. Lavédrine, D. Damien ;
[10] V, JA 2018 n° 587, p. 38, étude M. Tenneroni, N. Vartanyan ;
[11] V, JA 2015, n°524, p. 43, étude C. Lavédrine, L, Allouli ;
La SCOP comme réponse aux problématiques de gouvernance associative.
Gouvernance associative et gestion désintéressée.
L’existence d’une association tient à l’engagement bénévole d’au moins deux personnes pour adhérer et porter le projet de l’association. C’est ainsi l’esprit de la loi du 1er juillet 1901 qui a engendré le principe de la gestion désintéressée repris par l’administration fiscale : « Pour ne pas être soumis aux impôts commerciaux, les organismes sans but lucratif doivent avoir une gestion désintéressée » [12].
Pour remplir ce critère fiscal essentiel, la gestion et l’administration de l’association doivent être réalisées à titre bénévole – rémunération maximale aux trois quarts du SMIC ou selon les ressources de l’association [13] – par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation.
[12] BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 7 juin 2017, § 50 ;
[13] Ibid., § 130 et s. ; CGI, art. 261, 7, 1°, d) ;
Problématiques de gouvernance dans une association.
De nombreuses associations de services à la personne partagent le constat de la difficulté à mobiliser des administrateurs bénévoles ou, simplement, à renouveler leurs mandats. La complexité croissante de la gestion, la négation de la spécificité de leur action depuis le milieu des années 1990, la délicate gestion des ressources humaines complexes, expliquent le déficit de gouvernance bénévole. Celui-ci rend parfois difficile la mise en place d’un conseil d’administration réellement indépendant du fondateur, le premier se reposant au quotidien sur le second. Cette pratique peut alors incidemment transformer la direction salariée en une « direction de fait » [14], et remettre ainsi possiblement en cause le caractère désintéressé de la gestion.
« Les associations du secteur partagent le constat de la difficulté à mobiliser des administrateurs bénévoles ou à renouveler leurs mandats »
[14] Le juge peut engager la responsabilité d’un dirigeant de fait au motif qu’il a agi seul et en violation des statuts et le condamner par exemple à supporter une partie d’un redressement fiscal : Civ. 2e, 17 déc. 1997, n° 95-18,834 ;
La SCOP offre une alternative de gouvernance.
Lorsque la gouvernance s’essouffle ou dysfonctionne, outre le risque fiscal potentiel souligné précédemment, cela constitue un frein aux prises de décisions stratégiques pour faire face à l’environnement concurrentiel exacerbé. La souplesse et la capacité d’agir avec célérité peuvent s’en trouver ralenties. La SCOP offre alors une alternative par son management participatif. Contrairement aux associations, elle ne nécessite pas d’implication bénévole pour son administration et sa gestion mais intègre les salariés, alors associés ou actionnaires de l’entité [15]. Ces derniers réalisent un projet collectif dans la continuité du projet associatif dans lequel ils peuvent se projeter plus facilement. Typiquement, la direction salariée se transformerait en gérance salariée bénéficiant néanmoins d’une protection au regard du risque de chômage [16]. Autre avantage non négligeable pour les coopérateurs : ils ne sont responsables des dettes de la SCOP qu’à concurrence de leur participation dans le capital.
[15] Les salariés sont associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Si tous les salariés ne sont pas associés, tous ont vocation à le devenir ;
[16] Unédic, dir. n° 31-94 du 23 sept. 1994 ;
La fiscalité des associations de services à la personne est-elle un frein à la transformation ?
Lucrativité : rappel du droit commun.
Pour les associations, le droit commun est l’absence d’imposition ; l’assujettissement est l’exception réservée aux cas où l’association se comporte comme un acteur économique lucratif, intervenant sur un marché concurrentiel.
L’objectif de l’administration fiscale consiste ici à préserver le secteur marchand d’une concurrence « déloyale ». Globalement si un usager ne constate aucune différence [17] de prestation ou de tarif entre une association et une entreprise de services à la personne dans une même zone géographique, l’administration fiscale considère que l’association est lucrative au nom du principe de liberté, mais également de l’égalité de traitement devant l’impôt.
[17] BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, préc., § 570 et s ;
Exonération spécifique jusqu’en 2019.
Jusqu’au 1er janvier 2019, la gestion désintéressée et l’utilité sociale des associations du secteur étaient prise en compte dans leur ensemble, indépendamment de la seule situation de fragilité ou de dépendance des usagers bénéficiaires des prestations.
Avec le développement des entreprises sur le marché, les conditions d’exercice de l’activité d’une association de services à la personne la faisaient apparaître de plus en plus comme lucrative, mais elle bénéficiait cependant de l’exonération légale de TVA prévue dans le code général des impôts (CGI) [18] – en faveur des associations agréées, en application de l’article L. 7231-1 du code du travail, ou autorisées, en application de l’article L. 313-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF), et ayant une gestion désintéressée – et de l’exonération d’impôt sur les sociétés liée prévue à l’article 206, 5 bis du CGI [19].
Ainsi, l’association jouissait d’une exception à l’application de la règle des « 4P »[20], comme d’autres secteurs tels que l’insertion par l’activité économique (IAE).
[18] CGI, art. 261, 7, 1° ter ;
[19] Cette exonération légale d’impôt sur les sociétés subsiste pour les associations autorisées ou agréées dont la gestion est bénévole et désintéressée ;
[20] Pour produit, public, prix, publicité ; conformément à la directive 2006/112/CE du 28 nov. 2006 (art. 132, g) et 133, qui n’exige absolument pas que la distorsion de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA soit le seul critère à prendre en compte pour suspendre l’exonération ;
2019, un nouveau coup dur.
La nouvelle réglementation fiscale [21] complexifie encore davantage la gestion des associations de services à la personne s’adressant à la fois aux deux catégories de bénéficiaires – personnes en situation de fragilité ou de dépendance [22] ou non – avec des moyens communs. Pour ces associations, il faudra maintenant démontrer, sur le plan fiscal, que la règle dite des « 4P » ne s’applique pas sur son territoire… ce qui reste très improbable en ville. La sectorisation des activités en fonction du public desservi est donc, dans la plupart des cas, une nécessité [23], indépendamment de la complexité de gestion que cela amène.
[21] L. n°2018-1317, préc., art, 71 ;
[22] CASF, art. L. 312-1, I, 1°, 6°, 7° et 16° ; C. trav., art. L .7232-1, 1° ;
[23] L’association peut s’en dispenser si le volume des activités considérées reste en dessous du seuil de franchise d’impôts commerciaux de 72 000 euros et qu’elles restent accessoires ;
Transformation en SCOP : un impact fiscal à géométrie variable.
Les conséquences fiscales de l’assujettissement aux impôts commerciaux sur le modèle économique seront différentes pour chaque association [24]. Par exemple, l’impact financier de la TVA sera plus ou moins sensible selon la part de chiffre d’affaires concernant un public fragile car, entre une TVA à 5,5 % et une TVA à 20 %, la différence de marge sera de près de 15 %, l’environnement concurrentiel ne laissant que peu de latitude pour impacter le prix.
De la même façon, les associations au-dessus d’une certaine taille économiseront la taxe sur les salaires pouvant représenter plus de 5 % de la masse salariale alors que pour les plus modestes [25] aucune économie ne pourra être réalisée en cas de fiscalisation. À noter que l’imposition des résultats à l’impôt sur les sociétés bénéficie de certaines exonérations rendant le dispositif attractif pour une SCOP [26].
[24] V, JA 2019, n° 589, p. 35, étude D. Damien, C. Lavédrine, préc ;
[25] Elles pourront en effet bénéficier de l’abattement de 21 044 euros prévu pour les associations en 2020 ;
[26] Exonération d’impôt sur les sociétés des résultats affectés aux réserves.
Associations bénéficiant d’un patrimoine immobilier.
Le passage d’un environnement fiscal non soumis aux impôts commerciaux à un environnement assujetti peut avoir un impact très significatif au moment de la vente d’un patrimoine immobilier. En cas de cession de biens immobiliers postérieurement à la transformation en SCOP, la plus-value de la cession sera imposable au taux de droit commun à l’impôt sur les sociétés contre une exonération dans les associations non fiscalisées.
Si l’association souhaite vendre le bien à moyen ou long terme, s’offrent alors deux choix :
- réaliser cette opération de vente avant la transformation ;
- étudier préalablement la possibilité d’une réévaluation de l’ensemble de l’actif par comptabilisation d’un écart de réévaluation.
Outre un renforcement des fonds propres de la future SCOP, cela a aussi pour avantage d’accroître les futures dotations aux amortissements du bien immobilier et ainsi de diminuer les résultats imposables futurs. Cependant, il faut un délai assez long entre la réévaluation et l’opération de transformation envisagée pour éviter un risque de remise en cause pour abus de droit à but principalement fiscal. Il s’agit donc d’une option à manier avec précaution. Par ailleurs, cela alimentera une réserve non partageable par les coopérateurs contrairement aux résultats comptables que la SCOP pourra réaliser après la transformation.
Cet article est un extrait de Juris association numéro 623 juillet 2020, rédigé pour le comité « Associations » de l’Ordre des experts-comptables Paris Île-de-France par Cédric LAVEDRINE Expert-comptable, Associé Référent ESS Endrix et Nora Vartanyan Expert-comptable, présidente du comité.
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